Kisangani : OLPA sensibilise les journalistes de la province de Tshopo sur le traitement de l’information électorale

L’Observatoire de la Liberté de la Presse en Afrique (OLPA) a organisé un atelier sur la contribution des radios communautaires et associatives de la province de Tshopo au processus électoral en République démocratique du Congo (RDC). Une activité qui a eu lieu du 27 au 28 juillet 2018 dans la salle JL Ridja de l’Alliance franco-congolaise de Kisangani. 35 journalistes de la ville de Kisangani et du territoire de Basoko ont pris part à ces assises.
Dans son allocution d’ouverture, M. Réné Ayaka, ministre provincial des Relations avec le Parlement et la Société civile, a salué l’initiative de l’OLPA pour avoir choisi un thème d’actualité avant d’énumérer les objectifs poursuivis par l’OLPA en organisant cet atelier, parmi lesquels celui de voir les journalistes traiter l’information électorale dans le strict respect de l’éthique et de la déontologie journalistique.

Mme Chancelle Nsingi, chercheure à l’OLPA, a dans son mot de bienvenue remercié les participants à l’atelier, expliquant que cette activité s’inscrit dans le cadre du projet intitulé « défendre la liberté de presse durant le processus électoral en RDC », bénéficiant de l’appui de la Fondation nationale pour la démocratie (NED) à qui elle a réitéré les remerciements de l’OLPA. L’atelier de Kisangani a enregistré trois interventions dont celle de Madame Marie Ekonzo, Chargée des scrutins au secrétariat exécutif provincial de la Commission électorale nationale indépendante (CENI/Tshopo). Elle a axée sa communication sur la contribution des radios communautaires et associatives de Tshopo au processus électoral et à l’instauration d’un Etat de droit: défis et perspectives. Elle a indiqué que le calendrier électoral de l’élection présidentielle, législative, provinciale, urbaine, municipale et locale publié le 5 décembre 2017 constitue un indicateur prouvant que le train des élections est déjà en marche. Les opérations préélectorales prévues dans ce chronogramme sont entrain d’être exécutées et réalisées conformément au chronogramme d’activités. Les radios communautaires et associatives étant des partenaires privilégiés, doivent s’atteler à donner à la population des informations fiables notamment sur la loi électorale et les projets de société des candidats et des partis politiques, ainsi que les documents se rapportant aux élections. Les médias doivent également informer dans la neutralité et l’impartialité la population sur les tenants et les aboutissants du processus électoral. C’est pourquoi la CENI salue le travail des radios communautaires et associatives depuis les élections de 2006 jusqu’à ce jour. Les médias communautaires restent les partenaires que la CENI considère comme amis et compagnons de route pour la réussite des élections car sans leur apport, la diffusion des informations électorales ne saurait être totale et performante, a-t-elle conclu. Elle a invité les médias à apprêter leurs demandes d’accréditation, car seuls les journalistes accrédités peuvent accéder aux bureaux de vote.

Ernest Mukuli, secrétaire provincial de l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC/Tshopo) s’est penché sur le concept et l’historique des radios communautaires et associatives de Tshopo et leur contribution au processus électoral. Dans son introduction, l’orateur a indiqué que la dimension internationale de la radio communautaire trouve ses origines dans la première assemblée mondiale des radios communautaires tenue à Montréal (Canada) en 1983. Cette rencontre s’est cristallisée sur un mouvement qui prenait de l’ampleur depuis les années 1970, un mouvement porté par les avancées de la technologie qui se traduisaient par la réduction des coûts de radiodiffusion grâce au FM et des coûts des récepteurs grâce aux transistors. En 1986, voit le jour l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMARC). L’AMARC se concentre sur l’affirmation du droit à la communication, qui réfère non seulement au droit d’être informé, tel qu’il est proposé par l’article 19 de la Charte universelle des droits de la personne des Nations Unies, mais également au droit de s’exprimer et, ce qui est encore plus important, au droit d’être entendu. C’est en Bolivie dans les années 50, en tant que soutien des mouvements sociaux des mineurs boliviens, que la radio communautaire devient un instrument de changement social et que l’appropriation de la radio par la communauté devient une réalité.
De vastes zones non desservies par la radio dans l’ex-province orientale
En Afrique, le mouvement de développement des radios communautaires prend de l’ampleur dans les années 1990 à la suite de la mise en échec du monopole étatique. Précisément par le Mali et l’Afrique du Sud. L’éclosion de la radio communautaire en République Démocratique du Congo apparaît vers les années 1992-1995. C’est l’époque où un vent des libertés et des revendications démocratiques souffle sur le continent. C’est la fin chaotique de la conférence nationale souveraine, l’instauration du multipartisme politique et l’ouverture presque anarchique de l’espace médiatique; et, pour le monde de la radio, la fin du monopole de l’Etat sur l’audiovisuel. La province Orientale démembrée fait partie de ce regroupement par l’entremise du REMAC/PO, réseau des médias associatifs et communautaire de la province Orientale. Il n’existe pas encore un cadre fédérateur des radios locales pour la province de la Tshopo. La répartition géographique des radios dites locales (communautaires, associatives, confessionnelles et privées) dans la province de la Tshopo montre une concentration plus forte en ville et la faible puissance de diffusion laissent énormément de zones non couvertes dans les périphéries et dans la Tshopo profonde. Parlant de la cartographie de ces radios, Ernest Mukuli a comptabilisé 39 stations de radios locales sur toute l’étendue de la province de la Tshopo. Dans la ville de Kisangani, le paysage de la radiodiffusion de la ville est dominé à plus de 50% des radios appartenant aux confessions religieuses. Avec 8 stations de radio sur 17 que compte le chef-lieu de la province de la Tshopo. Et une seule station de radio qui tourne à plein régime au chef-lieu de la province de la Tshopo. Il y a aussi deux radios publiques à savoir: la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC) et la Radio Okapi (de la Monusco) créée en 2002 à Kinshasa, mais la station de Kisangani ne sera ouverte qu’en 2004. Parmi les radios confessionnelles, il y a :
- Radio Télévision Amani, RTA, appartenant à l’Eglise Catholique, créée en 1995. La toute première station de radio privée de Kisangani,
- Radio Télé Viens et Vois, de l’Eglise Viens et Vois, créée en 1998, qui n’est plus opérationnelle depuis plus de 10 ans.
- Radio Télé Pêcheur d’hommes, créée ne 2002, appartenant à l’Eglise Anglicane, non opérationnelle bientôt 5 ans,
- Radio Télé Kintuadi RTK, de l’église Kimbanguiste créée depuis 2006,
- Radio télévision Evangélique pour le Développement Intégrale, RTEDI, de l’église protestante 21e CNCA (communauté des nations du Christ en Afrique), 2005, date de sa création,
- Islam FM, de l’église Islamique, créée en 2008,
7.Radio Lisanga de l’ECC, appartenant à l’église du Christ au Congo « ECC », créée en 2016, et Radio Trois Anges, de l’Eglise Méthodiste, créée en 2011. Elle n’émet plus depuis peu. Une seule opérationnelle radio universitaire est opérationnelle à savoir la Radio Flambeau de l’Orient, RFO, créée en 2015, et appartenant à l’Université de Kisangani. Trois radios associatives et communautaires sont opérationnelle:
- Radio Communautaire Mwangaza, une propriété de la société civile, installée en 2005 grâce au financement de l’Ong Canadienne Développement et Paix,
- Radio OPED FM, de l’Ong OPED, créée depuis 2008,
- Radio Télévision Force des Médias, RFM TV, la dernière-née en 2017, appartenant à l’association ASDEF, Action Socio – Culturelle pour le Développement dans l’Espérance et la Foi. 3 radios commerciales fonctionnent :
- Radio Liberté Kisangani, RALIK, appartenant au parti politique Mouvement pour la Libération du Congo, créée depuis 2006,
- Radio télévision numérique Boyoma, RTNB, créé en 2007 appartenant à un opérateur économique et politique,
- Canal Orient, créée depuis 2010, une propriété d’un élu provincial qui est aussi opérateur économique.
Les 7 territoires de la province de la Tshopo regorgent dans l’ensemble 20 stations des radios dont 5 appartiennent à la société civile sur financement extérieur. Une offerte par un opérateur politique, mais elle est totalement gérée par la communauté locale. Une autre est une propriété exclusive de l’Eglise Catholique locale. Les 13 autres radios qui restent ont été initiées et/ou offertes par les opérateurs politiques, dont la gestion confiée à certains proches du bienfaiteur ou bienfaitrice. Ces derniers, n’interviennent presque plus dans la prise en charge de la radio, si pas peut être en cette période électorale. Un territoire vaste comme celui de Bafwasende n’a plus une seule radio opérationnelle. Il y existait une station de radiodiffusion implantée à la veille des élections de 2011 par un député national. Depuis plus de 5 ans la radio n’émet plus. Toutes radios ne sont pas nécessairement un gage de pluralisme radiophonique dans la mesure où plusieurs d’entre elles font exactement la même chose dans un copiage (mimétisme) frisant parfois un pâle plagiat.
Parlant de la contribution de ces médias au processus électoral, le secrétaire provincial de l’UNPC a rappelé que les citoyens ont besoin de l’information fournie par les radios locales pour mieux connaître les candidats en lice, les programmes de différents partis et les questions qui font débat. Mais le journaliste a aussi un rôle à jouer en matière d’éducation électorale des citoyens qui est celui de : Contribuer à l’éducation électorale. Le rôle des radios de proximités face aux élections consiste en la recherche des réponses aux demandes politiques des électeurs et électrices pour le changement de son mental, facteur primordial du développement de l’être humain. Le journaliste doit fournir aux citoyens des informations sur les modalités de l’élection. Il doit transmettre ces informations dans les formes de langage les plus simples afin qu’elles soient accessibles et comprises par tous.
Le devoir d’informer et la responsabilité sociale. En période électorale le devoir d’informer prend, pour les médias, la forme d’une responsabilité particulièrement délicate à assumer, tout en étant lourde de ce qu’elle engage l’avenir de la nation. En veillant à informer avec professionnalisme, le journaliste contribue à former les consciences et les opinions. Il doit constamment se souvenir qu’il est un citoyen affecté à une tâche hautement citoyenne, «un citoyen pas comme les autres en ce sens que sa parole est attendue et entendue ».
Le devoir de compétence : les radios communautaires doivent nécessairement associés à la démarche de sensibilisation et d’information des électeurs sur les spécificités du type et des enjeux de l’élection concernée. Mais les radios communautaires devront également informer les citoyens de manière équitable, sur les candidats et leurs partis, leurs idées et leurs programmes, ainsi que sur les grandes questions en débat quant à l’avenir de la nation. Le Respect du code d’éthique et de déontologie : le journaliste des radios communautaires doit s’en remettre aux principes de base de son métier : l’éthique et la déontologie. Son information doit être exacte, vérifiée, équilibrée, neutre, respectueuse de la dignité humaine et privilégier l’intérêt supérieur des citoyens. Dans sa collecte et son traitement de l’information, le journaliste doit veiller constamment à ne pas porter atteinte de façon indue aux personnes. Avant de conclure, il a exhorté le journaliste à parler de tous les partis et candidats, y compris les plus hostiles au gouvernement en place, et de tous les thèmes de campagne importants pour les citoyens et l’avenir de son pays. Il doit exercer son esprit critique sans porter de jugement définitif et aborder son travail avec modestie et rigueur, sans oublier de rendre compte des programmes et des débats entre les partis ou candidats en leur donnant la parole de manière équitable et équilibrée, sans laisser transparaître directement ou indirectement ses opinions.
Une réglementation spécifique pour les radios communautaires
Ursil Lelo Di Makungu, professeur à la Faculté de droit à l’Université de Kisangani (UNIKIS) s’est attelé sur le vide juridique et la nécessité des reformes pour appuyer l’action des radios communautaires et associatives en RDC. Il a refusé de tomber dans la tentation de l’affirmation précipitée du vide juridique du cadre légal sur les radios communautaires et associatives en RDC, estimant que le vide juridique n’a jamais été complet. Les radios communautaires et associatives bénéficient également d’une protection opérationnelle de portée générale, sans bénéficier d’une protection spécifique. Mais l’absence d’un cadre légal spécifique sur les radios communautaires et associatives constitue un coup dur au principe de l’accès au public à l’information, a-t-il indiqué. Analysant les contraintes légales du cadre légal de portée générale sur les radios communautaires et associatives en RDC, Ursil Lelo di Makungu a relevé les faiblesses de deux ordres : les faibles du cadre légal d’une part et les faiblesses institutionnelles d’autre part. 1) Faiblesses et difficultés d’application de ces textes : l’exercice de la fonction de Directeur d’une publication ou d’un média est conditionné par la nationalité congolaise et la détention d’un Diplôme en journalisme et/ou communication. Par le dépôt légal prévu à l’article 34. Il est imposé aux journaux, précisément ceux de la presse écrite, de déposer obligatoirement chaque publication au Ministère de l’Intérieur et cette règle est assortie d’une sanction, même s’il ne s’agit que d’une amende. Le recours systématique à loi pénale pour poursuivre et sanctionner le journaliste pour délit de presse en cas de comportement, même apparent, ayant conduit ou pouvant aboutir à la commission d’une infraction aux termes du droit pénal.
Attitre illustratif, un journaliste qui publie des informations vraies sur la situation précaires des militaires peut être poursuivi pour incitation des membres des forces armées et des services de l’ordre dans le but de les détourner de leurs devoirs. Il est fait interdiction faite aux étrangers de créer des agences/organes de presse ou de communication audiovisuelle sans que les Congolais y soient majoritaires, sauf cas de réciprocité. 2) Inadaptation du cadre juridique: l’inadaptation contextuelle sur le plan national et par rapport aux standards internationaux en la matière. Il se dégage un décalage entre les textes et la réalité sur le terrain. Il se dégage un conflit d’intérêt au travers une application inadéquate ou souvent biaisée en faveur des détenteurs des parcelles de pouvoir politique, militaire ou économique. La manifestation de l’insécurité juridique à travers le quasi désuétude de certains textes auxquels il n’est jamais fait recours bien qu’ils soient en faveur des radios et des radiodiffuseurs. L’existence d’un chantier jamais achevé depuis des années sur la question de réformes du cadre juridique régissant la liberté de la presse de manière générale. Avant de clore son propos, il a insisté sur la nécessité de la réglementation du statut juridique des radios communautaires et associatives qui est plus urgente en vue de promouvoir, dans une certaine mesure, le droit d’accès à l’information y égard à la faible couverture des radios privées et la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC). Il est important que législateur améliore la réglementation générale tout en mettant en place une réglementation spécifique sur les radios communautaires et associatives. Le législateur congolais doit produire un cadre légal adéquat conformément aux prescrits de la Constitution du 18 février 2006, il s’agit de la loi portant statut des journalistes, la loi fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse, la loi portant accès à l’information publique, la loi sur la dépénalisation du délit de presse, le cahier des charges des médias audiovisuels congolais, le code de bonne conduite pour les médias. Selon le professeur Lelo, la faiblesse du cadre légal en général sur les médias et les radios communautaires et associatives se caractérisent par une forte politisation des productions (interview payante, couverture rémunérée, voyage accompagné et le parrainage politique). Les médias présentent des positionnements politiques très marqués dans leur traitement de l’information , une confusion entre « information » et « communication » (omniprésence du coupage : transport, frais de diffusion, chantages, plates bandes et têmes – têmes), les plages et pages d’information comportant de nombreux publi-reportages, monnayés par la source de l’information, un manque de productions locales diversifiées et de qualité dans les domaines du magazine, de l’éducation citoyenne et du divertissement. La parole publique est généralement monopolisée par trois acteurs clefs, à savoir les politiciens, les musiciens et les pasteurs avec le phénomène mabanga. Dans ce paysage sombre, seules radios communautaires et associatives offrent une garantie d’accès à la parole publique. Il est nécessaire de doter la RDC d’un cadre juridique adéquat susceptibles d’endiguer toutes les faiblesses de la gouvernance des médias, mais également de permettre aux radios communautaires et associatives de jouer pleinement leur rôle grâce à un cadre juridique spécifique et aussi une politique des subventions compte tenu de leurs utilités publiques. Ensuite, les participants à cet atelier se sont scindés en deux groupes de travail dont le premier a travaillé sur l’apport des radios communautaires et associatives de la province de Tshopo dans la promotion de la démocratie et le second sur les forces et faiblesses de la législation sur les radios communautaires et associatives de Tshopo. Après un débat houleux en plénière, les participants ont formulé les recommandations suivantes :
- L’Etat doit accorder des subventions aux radios communautaires et associatives ;
- Les responsables des radios communautaires et associatives doivent initier des projets pour acquérir de l’équipement ;
- Les organisations professionnelles devront former régulièrement les journalistes ;
- Les responsables des radios devront veiller à la signature des contrats de travail dans leurs médias respectifs ;
- L’Etat devra garantir la sécurité des journalistes dans le cadre de leur travail ;
- L’accès sans entrave des journalistes des radios communautaires et associatives aux sources officielles et non officielles d’informations ;
- Exonération des radios communautaires et associatives face à la multiplicité des taxes étant donné que celles-ci sont dépourvues des moyens financiers de part leur statut ;
- Au Parlement d’adopter la loi sur l’accès à l’information et celle portant modification de la loi de 1996 fixant modalités d’exercice de la liberté de presse;
- Au gouvernement d’instituer des garde-fous pour décourager les acteurs politiques qui créent des radios communautaires pour des fins politiques ;
- A l’OLPA d’accompagner les médias communautaires dans l’élaboration d’un projet d’Edit protégeant les journalistes et les médias de Tshopo.
Département de l’Information publique